La violence politique a diminué dans l’ensemble mais elle a continué à faire en moyenne 125 morts par mois, essentiellement des civils. De fréquentes manifestations tenues dans la région à majorité Berbère de Kabylie qui n’ont pas toujours été pacifiques, ont conduit à des arrestations et, parfois, à une répression sévère menées par les forces de l’ordre. Des manifestations et des émeutes ont fréquemment eu lieu dans d’autres régions. Elles protestaient contre les mauvaises conditions de vie, la répression et contre la corruption et l’impunité dont jouissent les forces de l’ordre, les fonctionnaires et ceux qui exercent une influence quelconque. Entre mars et avril, près de cinquante prisonniers sont morts dans une série de mutineries et d’incendies provoqués par des détenus dans différents centres pénitenciers. Ces détenus voulaient s’opposer aux mauvaises conditions de détention et au recours fait à la détention préventive (qui peut être de très longue durée) plutôt qu’à la liberté provisoire.
Aux lendemains des attaques du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, l’Algérie, dans son premier rapport soumis au Comité contre-terrorisme de l’Organisation des Nations-Unies, a estimé que la nouvelle mobilisation internationale reconnaissait le » bien-fondé des positions qu’elle a défendues avec constance sur la nature du terrorisme… » Selon ce rapport, l’Algérie a » longtemps subi, souvent dans l’indifférence et parfois la complaisance de certains segments de la communauté internationale, les affres du terrorisme. »
Comme les années précédentes, certains responsables du gouvernement ont affirmé que les groupes armés algériens vivaient leurs derniers jours. Le Général Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée algérienne, a déclaré en juin au journal el-Moushahid as-Siyassi basé à Londres que le nombre d’islamistes armés dans le pays avait diminué pour atteindre le chiffre de 700 et que » la fin de ces groupes criminels » était » pour bientôt « . Les autorités ont toutefois refusé de mettre un terme à l’état d’urgence en vigueur depuis 10 ans qui accorde au Ministre de l’intérieur des pouvoirs spéciaux. Il peut par exemple interdire les attroupements publics et mettre en détention administrative certaines personnes.
Même si la sécurité s’est améliorée dans les plus grandes villes, les groupes rebelles qui avaient rejeté l’offre d’amnistie faite par le Président Bouteflika en 1999 ont continué à massacrer des civils dans les zones rurales et les villes moins importantes. Ces groupes sont aussi tenus responsables de la pose de bombes meurtrières dans des lieux publics. La province de Chlef a été particulièrement touchée. Cent vingt personnes y sont mortes entre juillet et octobre, dont vingt-six le 16 août et vingt et une le 24 octobre lors d’attaques ayant eu lieu dans des villages isolés. L’explosion d’une bombe dans un marché battant son plein à Larbâa a tué trente-huit personnes le 5 juillet. Le plus souvent, pour ne pas dire à chaque fois, les auteurs de telles attaques n’ont ni revendiqué leurs actes ni expliqué leurs motivations. Parmi les groupes actifs se trouvent le Groupe islamique armé (GIA) qui s’en prend aux civils depuis plusieurs années et le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui est plus connu pour prendre comme cible des militaires.
Le nombre connu de violations des droits humains commis par les forces de l’ordre a baissé de façon notable par rapport au milieu des années 90. Mais la fréquence des violations et leurs caractéristiques suggèrent que cette réduction est plus due à la baisse de la violence politique qu’à l’existence de meilleures garanties contre les violations. Bien qu’il n’y ait pas eu de nouveau cas confirmé de » disparition « , des policiers en civil ont continué à arrêter des jeunes gens et à les tenir au secret au-delà du délai de douze jours prévu par la loi et sans en informer leur famille. Même si le nombre de cas de torture rapportés était en baisse en nombre absolu, le risque pour les prisonniers d’être torturés par les interrogateurs était toujours important.
L’impunité est demeurée l’un des sujets d’inquiétude les plus importants. Le Président Bouteflika s’est engagé plus d’une fois à traduire en justice les membres des forces de l’ordre accusés d’avoir recouru à une force abusive dans la répression des manifestations berbères de 2001, qui ont fait plus de quatre-vingt-dix morts. Le président a tenu sa promesse de retirer quelques-unes des unités de gendarmes les plus critiquées stationnées en Kabylie, mais peu a été fait pour traduire les coupables en justice. De même, à la mi-novembre, malgré l’engagement répété de la nouvelle Commission présidentielle des droits de l’Homme à résoudre le problème des » disparus » avant la fin de l’année 2002, aucun progrès n’avait été fait.
Le mouvement de protestation Berbère avait pour principales revendications la reconnaissance de droits linguistiques et culturels et la fin du comportement répressif et corrompu des forces de l’ordre. Le mouvement est resté divisé sur la question de l’autonomie politique régionale.
Durant les élections qui ont eu lieu le 30 mai, le Front de Libération Nationale (FLN), parti qui est resté au pouvoir pendant les trois décennies du système de parti unique, a obtenu 199 des 389 sièges à l’Assemblée nationale. Trois partis islamistes reconnus par l’Etat ont obtenu un total de quatre-vingt-deux sièges, bien que le Ministre de l’intérieur ait disqualifié dix de leurs candidats sous le prétexte qu’ils appartenaient à une » organisation non reconnue « , c’est-à-dire le Front Islamique du Salut (FIS). (Les autorités ont interdit le FIS en 2002 après son très bon résultat au premier tour des élections législatives. Un coup d’Etat organisé par les militaires a annulé le second tour de ces élections pour empêcher le FIS de disposer de la majorité parlementaire.) Le Wafa, parti qui aurait dû obtenir le soutien de nombreux électeurs islamistes, n’a pas pu participer aux élections de 1992, car le Ministère de l’intérieur avait refusé de lui accorder un statut légal deux ans auparavant, avançant qu’il était trop proche du FIS.
Pendant la campagne, les autorités ont empêché deux partis politiques à dominance Berbère et favorables à un boycott des élections d’organiser des rassemblements et des réunions dans des lieux publics en expliquant que ces lieux étaient réservés aux partis qui se présentaient aux élections. La télévision contrôlée par l’Etat a aussi refusé d’ouvrir son antenne au mouvement pro-boycott, mais elle l’a ouverte à tous les partis et à tous les candidats participant aux élections.
Dans certaines parties de la Kabylie, le vote a été entravé par des actes d’intimidation, de vandalisme, et par des perturbations créées par des militants de la Coordination pro-boycott Inter-Wilaya, qui est un collectif d’organisations militantes locales Berbères et de conseils de plusieurs provinces. Le taux de votants a toutefois été très bas même dans les parties de la Kabylie où aucun problème n’avait été observé et n’a atteint que deux pour cent dans l’ensemble de la région.
Lors des élections locales qui ont eu lieu le 10 octobre, le FLN et son allié, le Rassemblement National Démocratique, ont obtenu assez de voix pour gagner le contrôle de la majorité des assemblées populaires communales et des assemblées populaires de wilaya. Les militants pro-boycott en Kabylie ont de nouveau essayé de dissuader les électeurs par des actes d’intimidation et de violence.
Dans une allocution à la nation prononcée le 12 mars, le Président Bouteflika a répondu à certaines doléances berbères tout en ignorant certaines autres. Il a décrété que le Tamazight, la langue Berbère, deviendrait une » langue nationale « , concession qui n’est pas allée jusqu’à octroyer ce qui avait été demandé, c’est-à-dire qu’elle devienne une » langue officielle « , comme l’arabe. Le président a aussi annoncé que vingt-quatre gendarmes et cinq officiers faisaient l’objet » de mandats de dépôt du chef d’homicide et pour usage abusif d’armes à feu » pour leur conduite pendant les troubles de Kabylie. » Le déroulement des procès se fera en toute transparence » a-t-il déclaré » sans équivoque, sans zone d’ombre… l’Etat est déterminé à ne pas laisser place à l’impunité « . Dans les mois suivants cette déclaration ferme, il n’a été possible de vérifier que deux ou trois cas dans lesquels des membres des forces de l’ordre avaient été jugés. Parmi ces cas, citons la condamnation le 29 octobre par un tribunal militaire du gendarme Merabet Mestari. M. Merabet a été condamné à deux ans de prison pour homicide involontaire sur la personne de l’étudiant Massinissa Guermah. Cet incident avait entraîné des mois de manifestations en Kabylie en 2001. Dans de rares cas, des gendarmes, des policiers et des membres des milices de défense civile organisées par le gouvernement ont été jugés pour violation des droits humains. Cependant, la redoutée Sécurité militaire a continué à être au-dessus des lois, ne rendant aucun compte au public de sa conduite, notamment lors des interrogatoires sous torture des suspects.
L’agitation et la répression en Kabylie se sont toutes deux aggravées en mars malgré l’allocution du Président. De fréquents sit-in, des marches, des affrontements et des actes de vandalisme commis contre les bâtiments publics ont eu lieu. Les habitants se sont plaints des » descentes punitives » faites en » représailles » par les forces de l’ordre, qui ont mis à sac et pillé les maisons, les voitures et les commerces et qui ont roué de coups et matraqué des passants. Sept jeunes personnes sont mortes dans divers incidents entre le 21 mars et le 1er avril et de nombreuses autres avaient été blessées précédemment par des balles réelles ou en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des passages à tabac. Les autorités ont arrêté près de 300 personnes en mars, dont des manifestants et des responsables du mouvement de protestation. Nombre d’entre elles ont été jugées très rapidement et condamnées jusqu’à deux ans de prison pour, par exemple, » attroupement illicite, destruction de biens publics, incitation à l’émeute, perturbation de la circulation et de la liberté de passage, diffusion de tracts subversifs « . Les arrestations et les procès ont provoqué de nouveaux rassemblements et sit-in réclamant la libération des prisonniers et cela a continué sporadiquement dans la région jusqu’à ce que le Président Bouteflika accorde sa grâce le 5 août à tous ceux qui avaient été arrêtés dans le cadre des protestations en Kabylie jusqu’à cette date. Cependant, les protestations ainsi que les arrestations de manifestants et de leurs dirigeants présumés ont continué après le mois d’août.
Le 14 mars, à Alger, la police s’est interposée par la force à une marche organisée par le Front des Forces Socialistes (parti à prédominance berbère), en faisant faire demi-tour aux voitures non immatriculées à Alger et en arrêtant brièvement de nombreux participants à la marche. Neuf mois plus tôt, les autorités avaient interdit toute manifestation dans la capitale » jusqu’à nouvel ordre « . Cependant, dans d’autres régions du pays, les manifestations politiques ont souvent eu lieu sans incident, comme la marche qui a rassemblé le 20 mars près de 100 000 personnes à Tizi-Ouzou.
Le 2 avril, une mutinerie dans une prison située près de Constantine s’est achevée par la mort de vingt détenus dans des circonstances non-élucidés. D’avril à début mai, les prisonniers ont organisé des troubles et ont allumé des incendies dans plusieurs centres pénitenciers du pays. Près de cinquante personnes furent tuées, dont environ vingt dans la mutinerie du 30 avril dans la prison de Serkadji. Les détenus se sont principalement plaints du recours quasi-systématique des tribunaux à la détention préventive, ce qui signifie fréquemment un très long séjour en prison avant même la tenue du procès. Mohand Issâd, qui présidait la commission présidentielle sur les réformes judiciaires, a dénoncé » le surpeuplement des prisons algériennes, des conditions alimentaires en dessous du minimum et des conditions médicales désastreuses « . Dans une interview publiée en mai, il a posé la question suivante : » Quand des détenus sont entassés les uns sur les autres dans de petites cellules, que des mineurs côtoient de grands délinquants, que des personnes saines côtoient des malades, à quoi doit-on s’attendre ? » Le Président Bouteflika déclara le 30 octobre que » le cri de détresse des détenus…a été entendu par les pouvoirs publics ». Il promit l’amélioration des conditions de détention et appela les juges à respecter le caractère » exceptionnel » de la détention préventive dans la loi algérienne.
Aucun progrès n’a été fait dans l’élucidation du sort des personnes dont le nombre est estimé entre 7000 et 10 000 qui ont » disparues » entre 1993 et 1998 aux mains des forces de sécurité et de leurs alliés paramilitaires. Le 28 octobre, pour la première fois, un officier de haut rang reconnut publiquement l’existence de ce problème. En effet, le Major Général Mohamed Touati, conseiller auprès du président, qualifia ces » disparitions » de » dossier douloureux et épineux qui doit être pris en charge par les instances politiques « , selon La Tribune.
Le président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’Homme, créée en 2001, a affirmé à Human Rights Watch le 6 novembre que 4 743 dossiers avaient été déposés par des familles sur des personnes que des membres des forces de l’ordre auraient faites » disparaître « , et que de nouveaux dossiers continuaient à arriver. Le Président de la Commission Moustapha Farouk Ksentini a affirmé qu’il pensait que le nombre total des » disparitions » se situait entre » 7000 et 10 000, peut-être même 12 000. » Dans une interview publiée le 28 juin dans le journal en ligne Algérie Interface, Me. Ksentini a déclaré, » La question des disparitions doit être définitivement réglée avant la fin de l’année….Si nous arrivons à la conclusion que l’Etat est coupable, nous le dirons clairement. Il faut que la vérité soit révélée, quelle qu’elle soit ! Il y va de l’honneur du pays et de ses institutions. Les choses horribles de ces dernières années ne doivent plus jamais se répéter « .
M. Ksentini a toutefois admis à Human Rights Watch le 6 novembre que, dans les affaires de » disparitions « , ni le gouvernement ni sa propre commission n’avaient jusque là réussi à élucider ne serait-ce un seul cas. Les pouvoirs publics ont néanmoins continué à prétendre sans preuve tout au long de l’année qu’elles avaient » clarifié » des cas que des familles leur avaient soumis. Le 10 mars, le Ministre de la justice Ahmed Ouyahia a déclaré à la radio algérienne que près de 600 » disparus » étaient en fait devenus membres de groupes terroristes, sur un nombre total qu’il fixait entre 3 200 et 3 300. Il n’a pas donné plus de détails.
Il n’y a pas eu de nouveau cas confirmé de personne enlevée ou » disparue » en 2002. Les forces de l’ordre ont cependant continué à procéder à des arrestations en violant la loi algérienne et en faisant courir le risque aux détenus de » disparaître « . Les policiers opérant les arrestations étaient souvent en civil et ont refusé de s’identifier. Les détenus ont ensuite été gardés en garde à vue au-delà du délai de douze jours prévu par la loi dans les cas de » terrorisme » et de » subversion « . Les violations flagrantes de cette loi ont toutefois été moins courantes qu’au milieu des années 90. L’ancien prisonnier Omar Toumi d’Alger est par exemple parti faire des courses le 26 janvier et n’est pas rentré chez lui. Sa famille a contacté la police mais n’a pas reçu de confirmation officielle de sa détention jusqu’à la mi-février. M. Toumi a finalement comparu en justice et a été accusé d’atteinte à la sécurité intérieure. Le frère d’Omar, Saïd, a » disparu » depuis son arrestation en 1994 sur son lieu de travail par des hommes armés, dont certains en uniforme.
Les personnes mises en détention, pour des délits de droit commun ou d’atteinte à la sécurité, couraient le risque d’être torturées durant les interrogatoires. Les méthodes les plus souvent citées par les victimes étaient le passage à tabac et le » chiffon » (l’application d’un chiffon imbibé d’eau sale et de produits chimiques ménagers sur le nez et la bouche pour provoquer l’étouffement). L’utilisation des décharges électriques a parfois aussi été mentionnée dans différents centres pénitenciers. Ahmed Ouali, son frère Mohamed et son oncle Fouad ont tous les trois été arrêtés le 12 janvier près de chez eux à el-Harrach et emmenés dans un centre de détention sous administration de l’agence de Sécurité Militaire. Ces trois hommes ont plus tard affirmé à l’avocat de la défense Mahmoud Khelili que leurs interrogateurs avaient fait subir le » chiffon » et des décharges électriques à Ahmed, ancien militant du FIS, et qu’ils l’avaient attaché à une corde attachée au plafond. Fouad fut soumis à des violences semblables. Les deux frères ont été inculpés d’appartenance à une organisation terroriste et placés en détention préventive. Mohamed, qui avait été passé à tabac pendant son interrogatoire, a été relâché sans avoir été inculpé.
Hoceine Rachdi habitant à Relizane a été arrêté le 2 octobre et torturé par des agents de la sécurité militaire qui lui ont brûlé les oreilles avec des décharges électriques, selon un membre de sa famille rencontré par Human Rights Watch. Cette personne a déclaré que des traces de cette torture étaient encore visibles sur le visage et les mains d’Hoceine le 14 octobre lors d’une visite au prisonnier soupçonné d’aide à une organisation terroriste.
Boubaker Kamaz, ancien détenu pour atteinte à la sécurité nationale qui habite à Constantine, a été arrêté le 9 janvier. M. Kamaz a confié à ses avocats que pendant ses quatorze jours de détention au secret (deux jours de plus que le délai prévu par la loi), il a été enchaîné à une chaise, passé à tabac, fouetté et étouffé avec un » chiffon « . Le juge chargé de l’enquête a rejeté sa demande d’expertise médicale. Cette décision a toutefois été infirmée en appel. Quand, le 2 mai, un médecin a finalement examiné M. Kamaz, près de quatre mois après ces violences, il a observé des traces d’égratignures aux poignets et aux chevilles. Contrairement à ce qui se passe d’habitude dans ce genre de cas, le juge a, le 20 octobre, acquitté M. Kamaz, accusé d’appartenance à un groupe terroriste. On peut penser que le juge, après avoir pris connaissance de l’expertise médicale, a estimé qu’on ne pouvait pas prêter foi aux aveux de Kamaz.
La télévision et la radio, contrôlées par l’Etat, ont continué à relayer le point de vue du gouvernement, ignorant ou minimisant les grandes manifestations et les massacres qui étaient couverts par les chaînes et les stations arabes et européennes captées en Algérie. La retransmission en direct des débats parlementaires a représenté une exception notable à ce mutisme. Malgré les lois restreignant sévèrement la liberté de la presse, la presse privé, elle, a souvent critiqué les initiatives du gouvernement, publiant les récits de témoins oculaires de la répression des manifestations par la gendarmerie et accusant les hauts fonctionnaires et les pouvoirs publics de corruption, de népotisme et d’incompétence. Ces journaux se sont néanmoins autocensurés sur la question du rôle de l’armée en politique.
Un certain nombre de journalistes, de dessinateurs caricaturistes, et de rédacteurs en chef travaillant dans les quotidiens privés algériens ont été convoqués par la police et par les juges d’instruction pour des plaintes déposées par le Ministre de la défense après la publication d’articles et de dessins politiques. Les personnes inculpées encouraient des peines de prison plus longues et des amendes plus élevées que par le passé en raison des amendements datant de 2001 au code pénal dans le domaine de la diffamation. Cependant, des journalistes qui avaient été condamnés à des peines de prison en 2002 ont fait appel de leur jugement et aucun d’entre eux n’a, dans les faits, été incarcéré durant les dix premiers mois de l’année.
Khaled Nezzar, Ministre de la défense algérien de 1990 à 1993, a traîné l’ancien officier de l’armée Habib Souaïdia en justice pour diffamation devant un tribunal parisien pour avoir déclaré à la télévision française que les » généraux » algériens avaient tué des » milliers de gens » pendant les violences politiques des années 90. M. Souaïdia, qui vit en France, est l’auteur d’un livre, publié dans ce pays en 2001 sous le titre de La Sale Guerre qui a pour thème les excès de l’armée algérienne. Le procès a duré une semaine et a eu lieu en juillet. Il a vu la comparution de près de trente témoins, dont des personnes torturées par les forces de l’ordre et des membres des familles des personnes assassinées par des groupes armés. En septembre, le tribunal a débouté la partie civile de l’ensemble de ses demandes, affirmant qu’il n’appartenait pas » au tribunal de se prononcer sur la véracité des thèses soumises à son appréciation, que seule l’Histoire pourra déterminer « .
Dans un autre cas de figure, les tribunaux français ont débouté des plaintes contre M. Nezzar déposées par des victimes de la torture. Ces dernières affirmaient qu’en tant que supérieur hiérarchique, M. Nezzar portait la responsabilité des tortures infligées par ses subordonnés. Les tribunaux français ont décidé de clore les dossiers après que M. Nezzar se soit soumis en avril à un interrogatoire des policiers qui menaient l’enquête. La décision du tribunal a été motivée par l’absence d’indices graves et concordants sur les crimes de torture dont M. Nezzar était accusé. En Algérie, le 30 avril un tribunal a condamné M. Souaïdia par contumace à vingt ans de prison pour avoir déclaré dans un entretien à la presse qu’il était en contact avec un groupe dissident d’anciens officiers en exil et que, s’il y avait un soulèvement contre les dirigeants de l’Algérie, il était « prêt à retourner en Algérie pour porter les armes contre les généraux « .
Dans le nouveau gouvernement formé après les élections législatives de mai, cinq ministres étaient des femmes, dont la célèbre militante des droits de la femme Khalida Messaoudi qui occupait le poste de porte-parole. Aucune modification n’a pour autant été apportée au Code de la Famille qui date de 1984 et qui confère aux femmes des droits inférieurs à ceux des hommes en matière de divorce, d’héritage et de garde des enfants, entre autres.
La défense des droits humains
Les défenseurs des droits humains ont rassemblé et publié des informations de façon ouverte dans les grandes villes algériennes. Leur travail a pourtant été entravé par des actes ciblés de harcèlement, par des poursuites judiciaires et par la peur éprouvée à sortir de l’anonymat et à témoigner de nombre de victimes et de témoins.
Mohamed Smaïn, porte-parole de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) a été condamné le 24 février dans la ville occidentale de Relizane, a un an de prison et à une amende par une cour d’appel pour diffamation d’un ancien maire, el-Hadj Fergane, et des membres d’un groupe armé d’auto-défense qu’il dirigeait. M. Smaïn accusait depuis longtemps M. Fergane et ses collègues d’organiser des » disparitions » et des assassinats dans la région au milieu des années 90. En février 2001, M. Smaïn avait alerté la presse d’une opération d’excavation à laquelle M. Fergane était selon lui présent. Cette opération aurait visé à transférer ailleurs le contenu d’une fausse commune située près de Relizane. M. Smaïn est resté en liberté après avoir fait appel de ce verdict auprès de la Cour Suprême, qui n’avait pas encore statué sur son cas au moment où nous mettions sous presse. En septembre, le permis de conduire et le passeport de M. Smaïn qui lui avaient été confisqués en 2001 lui ont été rendus. A Relizane, en novembre, Human Rights Watch a essayé en vain à plusieurs reprises d’avoir les commentaires de M. Fergane sur ce point.
Les organisations travaillant avec les membres des familles des personnes » disparues » ont continué à rassembler des informations sur de nouveaux cas de personnes » disparues » entre 1993 et 1998. Elles ont régulièrement organisé des sit-in à Alger, Oran, Relizane et Constantine pour exiger le retour des membres de leurs familles ou des informations sur leur sort. Ces sit-in ont été parfois tolérés, parfois dispersés. Le 18 mars, la police a dispersé les membres des familles de » disparus » qui essayaient de se rassembler devant le bureau de l’Organisation des Nations-Unies à Alger et elles ont arrêté Abderrahmane Khelil, militant de la LADDH et de SOS-Disparus, groupe de pression créé par les familles des » disparus « . Il a été relâché sans être inculpé quelques heures plus tard. La police a aussi utilisé la force pour disperser des sit-in des familles des » disparus » devant le siège de la Commission présidentielle des droits de l’Homme le 23 juin et le 3 juillet, et pour empêcher une marche de près de cinquante membres des familles qui se dirigeaient vers le bureau du président le 6 novembre.
M. Khelil et un de ses amis, Sid Ahmed Mourad, ont été arrêtés le 19 mai près de l’université d’Alger où ils s’étaient rendus pour la LADDH afin d’enquêter sur l’arrestation d’étudiants qui avait eu lieu la veille. Ils sont restés emprisonnés jusqu’au 26 mai, date à laquelle un tribunal les a condamnés à six mois de prison avec sursis pour » incitation à attroupement non armé » bien qu’ils ne se soient rendu sur les lieux de la manifestation en question que le lendemain.
L’attribution de visas aux organisations étrangères de droits humains a continué à être sélective et sporadique. Entre février 2001 et août 2002, ni Human Rights Watch, ni Amnesty International, ni la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, ni Reporters sans Frontières n’ont réussi à obtenir d’autorisation pour une mission. Il est cependant arrivé que, grâce à leurs nationalités, des chercheurs et des observateurs dans le domaine judiciaire aient pu entrer en Algérie sans visa. En septembre 2002, Human Rights Watch et Reporters sans frontières ont obtenu des visas pour la première fois depuis mai 2000 et janvier 2001 respectivement et ces deux organisations ont pu mener des missions de recherche en octobre.
L’Algérie a continué à refuser la demande de mission déposée il y a longtemps par le Rapporteur spécial sur la torture et par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et n’a pas accepté la demande d’invitation faite par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Le gouvernement a toutefois autorisé la visite en septembre du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction.
Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a continué son programme de visite des détenus dans les prisons gérées par le Ministère de la justice et a ouvert un bureau dans la capitale. Le CICR a aussi eu le droit de rencontrer des prisonniers en garde à vue dans les commissariats. Cependant, les détenus emprisonnés dans les centres gérés par les militaires (endroits où les violations les plus graves semblaient avoir lieu) sont restés hors de portée.
La communauté internationale
L’Union Européenne
Le gouvernement algérien a fait des progrès dans la réhabilitation de son image internationale fin 2001 et en 2002. Des inquiétudes quant à la situation des droits humains avaient retenu de nombreux gouvernements occidentaux d’approfondir leurs relations avec Alger. Mais ces inquiétudes ont été reléguées au second plan à la suite de la baisse générale de la violence politique, de l’offre du Président Bouteflika d’amnistie partielle aux rebelles, et de la position ferme qu’il a adoptée contre la terreur à la suite des attaques du 11 septembre contre les Etats-Unis.
Le Président a rencontré le Président Bush à deux reprises en 2001. Le 30 novembre de cette année, il a accueilli Jacques Chirac qui a ainsi rendu la première visite d’un chef d’Etat français à l’Algérie depuis 1988. Un mois plus tard, il s’est rendu à Bruxelles pour parapher un Accord d’association avec l’Union Européenne.
L’Europe est restée la principale source des importations algériennes et le premier consommateur de ses exportations principalement constituées de gaz naturel et de pétrole. La France est l’Etat qui a le plus influencé la définition de la politique européenne envers l’Algérie. La France a aussi été le premier client à l’import de l’Algérie et accueillait la plus importante communauté algérienne à l’étranger.
L’Accord d’association UE-Algérie a été signé le 22 avril, après quatre ans de négociations laborieuses. Il porte principalement sur les réductions de tarifs mais il comprend tout de même un article qui qualifie » le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’homme » d' » élément essentiel » de l’accord.
Cet article est le même que celui qui figure dans les autres accords de l’UE avec ses partenaires euro-méditerranéens. Le pacte algérien a obtenu l’aval du Parlement Européen le 10 octobre mais, pour rentrer en vigueur, il faudra qu’il soit ratifié par les parlements de l’Algérie et des quinze Etats membres de l’UE.
L’UE a été plus discrète sur les questions des droits humains qu’en 2001, année durant laquelle les troubles en Kabylie avaient provoqué une réponse plus vive. Les corps constituants de l’UE n’ont fait aucun commentaire sur les élections législatives qui se sont tenues le 30 mai. Mais le 5 juin, à l’occasion de la première des réunions semestrielles entre les responsables algériens et la » troïka » de l’UE, le Ministre des affaires étrangères espagnol, Josep Pique, chef de la délégation, a déclaré que la troïka avait constaté que l’Algérie avait » enregistré une nette amélioration dans ce domaine « .
M. Pique a ajouté que la délégation avait abordé le problème des » disparitions « , mais il n’a pas précisé si des progrès avaient été faits dans ce domaine. Des membres de la Commission Européenne ont déclaré à Human Rights Watch que la troïka avait demandé, lors de chaque réunion depuis 1999, des informations concrètes sur une liste régulièrement mise à jour de trente cas de » disparitions « , mais, en octobre 2002, elle n’avait toujours pas reçu de la part des autorités algériennes d’informations vérifiables sur le sort de ces personnes.
Le document de stratégie sur l’Algérie 2002-2006 rédigé dans le cadre du partenariat Euro-Med a estimé que » l’amélioration de la gestion des affaires publiques [et] la consolidation de l’état de droit » étaient une priorité de l’aide de l’UE. En janvier, la Commission européenne a signé un contrat qui prévoit l’investissement de 8,2 millions d’euros sur six ans dans la réforme de la police et l’octroi d’une aide à différentes organisations non gouvernementales ainsi qu’à des médias indépendants. Le programme de l’UE a cependant rencontré de sérieuses difficultés en janvier 2002 car les autorités algériennes ont refusé d’accorder des visas à deux membres de la commission qui s’apprêtaient à réaliser une mission technique en Algérie pour identifier d’éventuels partenaires au sein de la société civile. L’Algérie, qui a déclaré qu’elle n’avait pas été dûment consultée à l’avance, a fini par accorder ces visas et la mission a pu avoir lieu en avril.
Lorsqu’il a promulgué l’Accord d’association, le Parlement européen a adopté à une forte majorité une résolution annexe identifiant des » points de référence pour l’évaluation future du respect de la clause des droits de l’homme « . Ces points de référence comprenaient la résolution du problème des » disparus « ; » l’abolition de toute forme d’impunité « , » faire en sorte que l’indépendance réelle de la justice corresponde aux normes internationales « , et autoriser l’accès des rapporteurs de l’ONU et des organisations des droits humains au territoire national et aux informations.
Les Etats-Unis
Le rapprochement qui a lieu entre les Etats-Unis et l’Algérie en 2001 et 2002 est principalement dû à leur plus grande coopération dans la lutte contre le terrorisme, au commerce bilatéral croissant et aux investissements privés américains en Algérie, essentiellement dans le domaine des hydrocarbures.
Bien que l’aide directe américaine à l’Algérie soit restée très modeste, les deux pays ont commencé une quatrième série d’exercices navals communs en janvier et plusieurs hauts responsables américains se sont rendus en Algérie à la suite des deux rencontres du Président Bouteflika et du Président Bush en 2001. En décembre de cette année-là, le sous-secrétaire d’Etat William J. Burns a rencontré le Président Bouteflika. Une délégation de la CIA s’est aussi rendue en Algérie en février pour parler de coopération dans le domaine de la sécurité. Malgré ces occasions, les fonctionnaires américains n’ont pas exprimé publiquement leurs inquiétudes en ce qui concerne la situation des droits humains. Les rares critiques ont été très peu sévères. Le 30 janvier, William Burns, a appelé de Washington les pays du Maghreb à la prudence quant à » la main lourde des gouvernements dont le but est de réduire au silence l’opposition, mais qui, souvent, ne fait que la faire perdurer « . Le porte-parole du Département d’Etat Richard Boucher fit le commentaire suivant le 30 mai : » Nous avons observé des progrès en Algérie vers une plus grande démocratisation, et nous appelons le Président Bouteflika et son gouvernement à continuer leurs efforts pour améliorer et renforcer la liberté d’expression, la réceptivité gouvernementale et un processus politique transparent « .
Mais le caractère des relations entre les deux pays en 2002 a été encore mieux défini par le chef du contre-terrorisme du Département d’Etat Francis X. Taylor, qui a déclaré à son arrivé à Alger le 27 juin » L’Algérie est l’un des partenaires les plus tenaces et fidèles des Etats-Unis …L’Algérie a coopéré avec nous dans tous les domaines « . Le sous-secrétaire d’Etat Marc Grossman s’est rendu à Alger le 6 novembre et a déclaré dans une conférence de presse que les Etats-Unis soutenaient la lutte de l’Algérie contre le terrorisme par » une formation commune et par tout autre aide que nous pourrons fournir. » Marc Grossman a rencontré ce jour-là le Premier ministre Ali Benflis et le Ministre des affaires étrangères Abdelaziz Belkhadem. Aucun commentaire public ne permettait de dire que le problème des droits humains avait été abordé durant ces discussions. Cependant, dans une conférence de presse M. Grossman a déclaré que les Etats-Unis étaient prêts à aider à former des juges algériens qui seraient » indépendants…courageux » et qui prendraient des » décisions qui reposent sur le droit « .
Le seul commentaire public énergique que les Etats-Unis aient fait sur le thème des droits humains en Algérie est contenu dans le Rapport par pays sur les pratiques en matière de droits de l’Homme, publié en mars. L’Agence américaine pour le développement international a octroyé des subventions à quelques programmes de formation en droits humains et financé des organisations issues de la société civile. Le Democracy Commission Small Grants Program (programme de subventions limitées de la Commission Démocratie du Département d’Etat) a octroyé 18 000 dollars à trois organisations de droits humains afin qu’elles organisent une conférence portant sur les » disparus « . Le National Endowment for Democracy, fondation privée recevant des fonds du Congrès, a aussi accordé des subventions à des organisations indépendantes des droits humains.
Le 27 mars, le Département d’Etat a ajouté le Groupe Salafiste pour la prédication et le combat à sa liste d’organisations terroristes étrangères, liste qui contenait déjà le Groupe Islamiste Armé.
La banque d’import-export, contrôlée par le gouvernement, qui accorde des prêts et des garanties visant à favoriser les investissements américains à l’étranger, s’était engagée à garantir les investissements américains en Algérie à hauteur de 1,84 milliards de dollars (somme évaluée au 30 septembre), montant qui vient au second rang après la somme de 1,88 milliard de dollars de garanties aux investisseurs américains en Arabie Saoudite.
Selon plusieurs articles publiés dans la presse fin 2001, les Etats-Unis ont modifié leur politique et ont concédé des licences d’exportation vers l’Algérie à des sociétés d’armement privées fabriquant du matériel d’armement nocturne. Ce matériel était convoité par l’Algérie qui voulait en doter ses unités anti-insurrection. Cet équipement fait partie des armes d’impact dont les Etats-Unis avaient interdit la vente à cause de leurs inquiétudes sur les pratiques du gouvernement dans le domaine des droits humains. Le département d’Etat a préféré ne pas faire de commentaires lorsque Human Rights Watch a essayé de vérifier cette information.
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Human Rights Watch / Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale établie en 1978 dans le but d’observer et de promouvoir les droits humains internationalement reconnus en Afrique, dans les Amériques, en Asie, au Moyen-Orient et parmi les signataires des accords d’Helsinki. L’organisation est financée par des contributions de personnes privées et de fondations à travers le monde. Human Rights Watch n’accepte pas de contribution directe ou indirecte de la part de gouvernements. Kenneth Roth est le directeur exécutif et Jonathan Fanton est le président du conseil. Sa division Moyen-Orient a été créée en 1989 pour surveiller et promouvoir le respect des droits de l’Homme internationalement reconnus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Hanny Megally est directeur exécutif.